Des Jeux Africains 1987 à Naïrobi, où le onze national a touché le fond avec, entre autres, un cuisant revers (0-3) devant… Madagascar, Habib Bouzgarrou garde les pires souvenirs. Toutefois, il appelle à tenir compte des conditions et de l’environnement dans lesquels le rendez-vous continental s’était déroulé.
«Certes, nous avons fait un mauvais tournoi, mais peu de gens savent dans quelles conditions nous avons séjourné là-bas, insiste notre invité. Une fois arrivés à Naïrobi, nous avons dormi la première nuit dans le bus. Tout au long du tournoi, on ne mangeait presque rien, car à la Maison des jeunes où nous avons été admis, la restauration était désastreuse. Les conditions étaient vraiment indignes d’un championnat continental».H.Bouzgarrou, qui a porté avec fierté et dévouement durant douze bonnes saisons le maillot de l’Union Sportive Monastirienne, décrit avec beaucoup d’émotion un football qui n’a rien à voir avec celui de nos jours. Et il explique à sa façon le pourquoi et le comment.
Habib Bouzgarrou, vous vous rappelez sans doute toujours de la malheureuse expédition des Jeux africains 1987 au Kenya dont vous avez fait partie. L’équipe de Tunisie a perdu ses trois matches de poule et se fit piteusement éliminer d’entrée. Que s’est-il passé au juste ?
Je crois être bien placé pour en parler d’autant plus que j’ai disputé les trois rencontres des J.A. 1987 : défaites contre le Kenya (2-0), Madagascar (3-0) et le Cameroun (3-1), puis en match de classement face au Sénégal (1-0). Notre sélectionneur était le Français Jean Vincent. Il n’allait d’ailleurs pas revenir en Tunisie après ces Jeux, préférant rentrer directement en France au retour du Kenya. Certes, nous avons fait un mauvais tournoi, mais peu de gens savent dans quelles conditions nous avons séjourné là-bas. La première nuit après notre arrivée à Naïrobi, nous avons dormi dans le bus. On ne mangeait presque rien car à la Maison des jeunes où nous avons été admis, la restauration était désastreuse. Les conditions étaient vraiment indignes d’un tournoi continental.
Pourtant, dans votre carrière internationale, il n’y eut certes pas uniquement ce souvenir traumatisant. Vous avez goûté à autre chose, par exemple au triomphe de la qualification aux Jeux olympiques 1988 à Seoul…
La rencontre devant l’Egypte au Caire, je l’ai suivie du banc des remplaçants car j’étais blessé. En fait, j’ai été convoqué pour la première fois en sélection par Youssef Zouaoui pour les besoins de la tournée à Oman et au Qatar. J’avais auparavant évolué en sélection Espoirs, drivée par Habib Mejri contre la France «B». Avec la sélection «A», j’ai également disputé des rencontres amicales contre l’Algérie, la RDA, la Bulgarie, Saint-Etienne…J’y ai connu quatre sélectionneurs : Youssef Zouaoui, Taoufik Ben Othmane, le Français Jean Vincent et Mokhtar Tlili.
Revenons à vos débuts. Qui vous a fait signer pour l’USM ?
Un dirigeant monastirien, Jemaâ Khedher, qui m’a vu jouer dans le quartier. J’ai signé en même temps que Jalel Grichi et Mourad Klila qui n’allaient malheureusement pas percer jusqu’à la catégorie seniors. A mes débuts, j’ai trouvé dans l’effectif Mohamed Salah Mhalla, Kamel Haddad, Bouraoui Jammali, Habib Jaziri… Dans les jeunes catégories, j’ai eu pour entraîneurs Frej Ajina, Hedi Gdouda, Hedi Merchaoui et Lotfi Benzarti. Chez les seniors, les Allemands Dieter Schulte, Manfred Honer et Gerhard Wolfgang, le Yougoslave Radojica Radojicic, Ameur Hizem, Faouzi Benzarti, Ridha El May, le Russe Alexandre Shteline, Salah Guediche et l’Algérien Abdelhamid Zouba.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?
Comme la plupart des parents, ils étaient contre. Mon père Chaâbane et ma mère Habiba voyaient d’un mauvais œil le sport qu’ils considéraient comme une occupation de voyous et source de dépravation. J’ai longtemps joué à leur insu. De ce fait, ma carrière de jeune footballeur n’a pas été très régulière. Une fois, je jouais, puis j’arrêtais pour un bon moment, et ainsi de suite. Nous étions trois sœurs et un frère. En fait, mon père s’était marié une première fois avec la sœur du président Habib Bourguiba, Aichoucha, avec laquelle il a eu trois filles et un garçon. A la mort de Aichoucha, il s’était remarié avec ma mère Habiba avec laquelle il a également eu trois filles et deux garçons. Au fond, avec les enfants de Aichoucha, nous composons une même famille.
Entre 1981 et 1993, période où vous avez enfilé la casaque de l’Union Sportive Monastirienne, avez-vous jamais connu la Ligue 2 ?
Non, l’USM n’avait alors jamais été reléguée en deuxième division. Il a pourtant failli l’être en 1990-1991. En toute fin de saison, nous nous étions condamnés à un véritable exploit : remporter les cinq dernières rencontres pour éviter le purgatoire. Ce défi qui pouvait paraitre insensé a été brillamment relevé. Nous étions allés gagner sur la pelouse de nos concurrents directs, l’Olympique de Béja et le Sfax Railways Sport. Celui-ci n’avait pourtant besoin que d’un nul, mais nous l’avions battu dans son antre (1-0) grâce à un but que j’ai eu la chance de marquer à la 85e minute. L’arbitre était algérien.
A l’époque, de qui se composait l’USM ?
J’ai joué avec un tas de joueurs, tous disciplinés et dévoués aux couleurs «bleu et blanc». Dans les bois, il y avait Mhalla, Kamel Kacem, Imed Chemli et Jalel Maghrebi, venu de la Stia de Sousse. En défense, mon cousin Chokri Bouzgarrou, Laâtiri, Khaled Laâmiri, Naceur Sallem, Nejib Kahna, Ridha Jaziri, Mustapha Nabli, Lotfi Khechine, Naceur Khalfouni, Ghazi Baouab, Mongi Saidi, Kamel Trimech… Au milieu, feu Ryadh Betbout, Ahmed Chenane, Zouheir Chebbi, Abdessattar Gachabi, Abderrazak Karbia, Fethi Benzarti, Nabil Kalboussi, Abdelhamid Korbi, Adel Moussa, Habib Jaziri… Et en attaque, Lotfi Rehim, Kamel Haddad, Hichem Mehri, Fethi Skhiri, Kamel Zrafi, Fayçal Zidi, Mohamed Belaid, Karim Besbès, Abdelkader Stambouli, Bouraoui Jammali et Adnène Laâjili qui a terminé la saison 1986-1987 meilleur réalisateur de la D1 avec 14 buts.
Quelles sont les qualités d’un latéral droit, votre poste de prédilection ?
Tout en étant performant défensivement, il doit également apporter une contribution importante au travail offensif. J’ai pris la relève de Majid Saïdi. Le plus grand latéral droit usémiste, Mahfoudh Benzarti, je ne l’ai malheureusement pas vu jouer. J’étais trop jeune pour cela.
Que vous a donné votre club ?
Tout. Il m’a rendu meilleur, m’a fait connaître le monde et plein de gens. Nous avons tout sacrifié pour notre club. J’ai dû arrêter mes études après avoir passé le bac une première fois. Non, je ne regrette pas un tel choix. Certes, dans mon cas personnel, ce n’est pas l’USM qui m’a embauché. Mais elle a eu le mérite de garantir un poste de travail à beaucoup de joueurs. Nous n’avons pas bénéficié des primes royales qui sont offertes aujourd’hui. Une victoire contre un grand club du championnat nous donnait droit tout au plus à 150 ou 200 dinars.
Quelle différence existe-t-il entre le foot d’hier et d’aujourd’hui ?
Jadis, c’était de l’amateurisme intégral, le joueur aimait vraiment son club et cherchait à lui assurer le meilleur palmarès possible. Avec l’avènement du professionnalisme, la seule chose qui l’intéresse vraiment est l’argent. Que son club perde ou gagne, peu lui importe, pourvu qu’il touche salaires et primes jusqu’au dernier sou.
Est-ce à dire que vous n’encourageriez pas vos enfants à suivre une carrière sportive ?
Non. Naguère, c’était un foot de «zouaoulia», de gens de condition modeste. Aujourd’hui, c’est un foot de fils à papas. Les parents les plus riches imposent leur progéniture dans une équipe par l’intermédiaire de l’aide finalement guère désintéressée qu’ils apportent. Malheureusement, cela se fait au détriment de jeunes très doués, mais qui ont «le tort» de ne pas avoir des parents riches.
A propos, combien d’enfants avez-vous ?
J’ai quatre enfants, deux garçons et deux filles : Chaima, 27 ans, qui a décroché son master, Cyrine, 24 ans, étudiante, Chaâbane, 26 ans et Mohamed Chadi, 15 ans, élève. Je me suis marié en 1990 avec Wassila. La famille, c’est toute mon existence, mon bonheur.
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire de l’Union Sportive Monastirienne ?
Mahfoudh Benzarti, Nouri Hlila et Bouraoui Jammali.
Et ceux du football tunisien ?
Les représentants et symboles de la génération argentine Hamadi Agrebi, Tarek Dhiab et Attouga. J’ai vécu l’épopée argentine avec passion et fierté. La Tunisie, qui représentait tout le continent a assuré la première victoire de l’Afrique en coupe du monde. Cela a ouvert la voie à davantage d’équipes africaines au Mondial. Nos participations suivantes n’allaient plus nous rapporter la moindre victoire, hormis celle, presque insignifiante contre le très faible Panama. Non vraiment, 1978 restera à jamais l’apogée du football national.
Avez-vous gardé un contact avec l’USM ?
Par le passé, j’ai souvent été dans la commission de football. Je m’engageais surtout dans les moments difficiles ou de crise, c’est-à-dire lorsque le club avait vraiment besoin de ses enfants. Je préfère à présent prendre un peu de recul.
Si vous n’étiez pas dans le sport…
J’aurais été Prof de sport. J’aurais poursuivi mes études à l’Ineps de Ksar Saïd.
Que faites-vous dans la vie ?
Depuis 1984, je suis cadre bancaire.
Que faites-vous de votre temps libre ?
J’aime rencontrer les amis au café et passer un moment de détente à la plage. A la télé, je regarde les championnats d’Espagne et d’Angleterre. Je suis fan du Real Madrid.
Quel est votre meilleur souvenir ?
La 5e place obtenue sous la direction de l’Allemand Honer. Naturellement, j’aurais aimé remporter un championnat ou une coupe avec l’USM.
Enfin, un but que vous avez marquez et que vous n’oublierez jamais ?
A vrai dire, ce but-là, je ne l’ai pas inscrit. Mais j’y ai participé de façon décisive. Il est d’ailleurs resté dans les annales à tel point qu’il a été choisi meilleur but du mois par l’équipe de «Dimanche Sport». Quant au sélectionneur de l’époque, Mokhtar Tlili, il a dit qu’un tel but, on ne le réussit presque jamais dans un match, mais plutôt aux entraînements. Cela s’est passé en coupe de Tunisie, contre le Club Athlétique Bizertin. Notre gardien Jalel Maghrebi me sert le ballon dans notre surface de réparation. Je fais trois «une-deux» avec Skhiri. L’action est parachevée par Abdessattar Gachabi dans les filets adverses. Un but «coast-to-coast», d’un but à l’autre. Un véritable petit bijou.